Le Tour de France : Au cœur du Peloton de Netflix, un spectacle flamboyant au détriment de l’authentique essence de la course ?
Tour de France : Au cœur du Peloton est une véritable explosion sensorielle qui pourrait laisser les fans les plus connaisseurs sur leur faim.
La grande mode des documentaires sportifs
Ces dernières années, les documentaires sportifs se sont imposés comme des incontournables sur les plateformes de streaming. La plupart de ces émissions racontent les histoires exceptionnelles d’athlètes individuels ou proposent des récits condensés et hauts en drame de compétitions, pour le plus grand bonheur des fans qui souhaitent revivre l’intensité des événements et accéder aux coulisses.
Ainsi, lorsque Netflix a annoncé une série sur le Tour de France, de nombreux amateurs de vélo étaient à juste titre emballés. En s’associant aux organisateurs du Tour de France et à la société de production derrière la série Formula 1 : Drive to Survive, Netflix semblait prêt à offrir au plus grand événement cycliste du monde le traitement documentaire sportif qu’il mérite, à l’instar de nombreux autres sports.
Malgré sa popularité, le cyclisme sur route professionnel ne jouit pas de la même visibilité que des sports tels que la Formule 1. La seule autre série majeure consacrée aux courses professionnelles était The Least Expected Day, qui se concentrait exclusivement sur les exploits de l’équipe Movistar.
Tour de France : Au coeur du Peloton adopte une approche différente en suivant huit équipes du WorldTour qui ont participé à l’édition 2022 de la course. La série nous plonge au cœur du chaos du peloton, nous fait découvrir les histoires personnelles des coureurs et nous présente l’improbabilité de la victoire dans le cyclisme sur route professionnel.
Après avoir visionné les deux premiers épisodes, on peut affirmer que la série promet un récit trépidant de ce qui fut une édition dramatique de La Grande Boucle. Cependant, se pose la question de savoir si elle saura impressionner les connaisseurs, ceux qui maîtrisent les mécanismes et les tactiques de la course professionnelle.
Un rythme intense et soutenu
Netflix a gardé le silence pendant longtemps au sujet de la série après qu’elle ait été annoncée pour la première fois en mars de l’année dernière. Ce n’est qu’en avril, lorsqu’un des producteurs, Yann Le Bourbouac’h, s’est entretenu avec le site d’actualités RMC, que nous avons enfin pu entrevoir ce qui nous attendait.
Il a décrit la série comme ayant pour ambition de mettre en lumière les personnages de la course et de se situer « à la frontière entre le documentaire et le cinéma ». Et les deux premiers épisodes de la série sont fidèles à cette description.
Le premier épisode : JAkobsen en héros
Le premier épisode se concentre sur l’équipe Quick-Step Alpha Vinyl. La première moitié de l’épisode nous mène à la victoire de Yves Lampaert lors du contre-la-montre d’ouverture, mais le récit principal est l’histoire de retour du sprinteur de l’équipe, Fabio Jakobsen.
Jakobsen a été victime d’un grave accident lors du Tour de Pologne en 2020, nécessitant 130 points de suture et lui faisant perdre 10 dents. À l’époque, sa carrière de cycliste professionnel semblait compromise.
La série montre l’accident de Jakobsen avec un filtre gris superposé – comme elle le fait avec de nombreux accidents montrés lors de précédentes courses – et une musique dramatique. Lors d’une interview, Jakobsen explique ensuite ce que cela signifie de revenir à la compétition et de faire partie de l’équipe.
Cette mise en scène rend la représentation de la victoire de Jakobsen lors de l’étape 2 de la course spectaculaire, amplifiée par la façon dont l’étape elle-même est présentée. Avec un compte à rebours avant le départ des coureurs, et quatre heures et demie de course condensées en environ 10 minutes, l’épisode transforme la vision d’une étape du Tour de France en une expérience intense et rythmée.
« Le peloton continue d’avancer – il ne s’arrête jamais. Si vous êtes dans le peloton, vous êtes vivant. Si vous n’êtes pas dans le peloton, vous risquez la mort« , explique l’un des intervenants, tandis que des roulements de tambour accompagnent le point culminant de l’étape. On a l’impression que les réalisateurs veulent faire passer un message précis. Et après un certain temps, je me suis dit : « D’accord, j’ai compris ».
Se rendre compte de la violence et de l’importance d’une chute
Une partie de l’intensité de Tour de France : Au cœur du peloton réside dans sa focalisation sur les moments à haute tension de la course, et notamment les chutes.
Dès le premier épisode, des accords graves et sinistres retentissent à chaque fois que les coureurs touchent le bitume, et dès le début du deuxième épisode, nous sommes entraînés dans un montage rapide de chutes. Le deuxième épisode, centré sur l’équipe Jumbo-Visma qui remportera la course avec Jonas Vingegaard, est particulièrement palpitant.
Les coureurs racontent la course
En se concentrant sur l’étape 5, qui a conduit la course sur les routes pavées entre Lille et Wallers-Arenberg, nous assistons à une remise en question des plans de l’équipe Jumbo-Visma pour l’ensemble de la course. Vingegaard doit changer de vélo à plusieurs reprises et Primož Roglič chute violemment.
La narration de la course est assurée par des extraits de la radio de course, des commentaires et des analyses de personnalités telles qu’Orla Chennaoui, le coureur professionnel Steve Chainel et les coureurs eux-mêmes.
Les interventions des différents intervenants alternent entre le présent et le passé. Par exemple, nous retrouvons Chennaoui dans un studio qui décrit ce qui se passe dans la course, puis ce sont les coureurs qui racontent ce qui s’est passé.
Un montage pour favoriser « l’effet wahou ! »
Le rythme soutenu des deux premiers épisodes et ces allers-retours entre le présent et le passé créent une ambiance hypnotique, même si cela peut parfois être agaçant. Cela sera familier à tous ceux qui ont passé suffisamment de temps à regarder ce type d’émission.
Des montages rapides, une surcharge d’informations et une évocation chaotique des événements sont utilisés pour captiver et retenir votre attention. Ce n’est pas vraiment fidèle à l’expérience de regarder les Grands Tours en direct, qui peuvent parfois être ennuyeux, avec des étapes de transition où les coureurs se contentent d’enchaîner les kilomètres. Mais si la série était plus fidèle à cette réalité, elle n’aurait peut-être pas autant d’effet « wahou ».
La série veut attirer le grand public
L’effet wahou et l’intensité semblent être au cœur de la série qui vise clairement à séduire les néophytes dans le monde du cyclisme sur route professionnel. Cet objectif transparaît également dans le rôle des experts comme Chennaoui, Chainel et David Millar dans les deux premiers épisodes.
Expliquer et contextualiser
Ces trois spécialistes expliquent les objectifs du Tour de France ainsi que les dynamiques d’équipe. Ils abordent la notion de vainqueurs d’étapes et de vainqueur final, ainsi que le rôle crucial des domestiques au sein d’une équipe, sans toujours vouloir endosser ce rôle.
En alternant ces moments instructifs avec les temps forts dramatiques, la série cherche à contextualiser et à expliquer les événements pour ceux qui ne connaissent peut-être pas les subtilités du cyclisme, entre rouleurs et grimpeurs.
Cependant, comparée à une série comme The Least Expected Day, qui accorde beaucoup plus de temps à la psychologie et à la motivation des coureurs de l’équipe Movistar, l’approche de Netflix pour le Tour de France semble toujours privilégier le spectacle, reléguant ainsi l’analyse approfondie du cyclisme professionnel à un rôle secondaire.
Le Tour de France : l’odyssée de l’époque moderne
Que cela soit problématique ou non de transformer le Tour de France en un spectacle éblouissant, la question reste ouverte. Après tout, cette course est un véritable spectacle, et le plus grand dans le monde du cyclisme professionnel.
Dans son ouvrage Mythologies, l’écrivain et critique littéraire français Roland Barthes décrit le Tour de France comme une « épopée moderne » aux proportions odysséennes. Tour de France : Au cœur du peloton s’efforce de rendre hommage à cette affirmation en présentant l’exploit extraordinaire de parcourir toute la France de manière remarquable, d’une manière typique de Netflix.
De nombreux amateurs applaudiront cette initiative et espéreront que cette série aura un impact similaire à celui de Drive to Survive sur la Formule 1. En effet, selon la société mondiale d’analyse Nielsen, 2,7 millions de personnes âgées de 26 à 35 ans se sont intéressées à la F1 chaque mois à partir de mars 2020.
Cependant, il est regrettable que les passionnés de ce sport ne trouvent peut-être pas beaucoup plus que le simple plaisir de voir le cyclisme occuper le devant de la scène.
Et si la série ne vous a pas plu, pas d’inquiétude ! Ca y est le Tour est de retour ce week-end ! Ne manquez pas les étapes clés de cette 110ème édition !